samedi 28 octobre 2017

La douceur de la faim

À force d’avoir peur de la relation, je ne lui ai pas assez dit qu’elle cuisinait super bien. Je lui ai dit déjà, mais elle ne le croyait pas trop.
Je flippe parce que je pense à ma vie qui est sur le point de sombrer dans le néant et je ne veux pas la faire tomber avec moi, mais c’est raté.
C’est toujours raté quand je ne veux pas faire sombrer quelqu’un avec moi.
De même que la mort ne vient jamais par les sentiers qu’on lui réserve, on ne blesse jamais les gens comme on s’y attend.

Alors je suis resté distant et j’essaie de ne pas trop lui dire que quand elle vient chez moi avec un tupperware, ce que je trouve bon ce n’est même pas qu’elle ait cuisiné. Même si elle cuisine bien et que je lui ai déjà dit. Quand vient chez moi avec un tupperware pour qu’on le mange ensemble, ce que je trouve meilleur c’est sa douceur. Je ne lui dis pas parce que je ne sais pas ce qu’on va devenir si je commence à lui dire tout ça.
Parce que je sais qu’on n’a pas une chance. Ma vie qui sombre, tout ça.
Je ne nous ai pas donné une chance. Et aujourd’hui je me demande, alors que j’ai les mains vides, ce qui a bien pu se passer pour que je devienne comme ça. Celui qui ne se laisse pas une chance.

Alors je fais tout pour m’enterrer vivant en ne m’attardant pas trop, en faisant comme si, parce que de toute façon ma vie sombre et que je ne vais pas faire sombrer quelqu’un avec moi et je me répète ça en boucle.
Et elle, quand elle vient, elle m’amène de la douceur.

Et moi inlassablement, je me répète que tout est voué à l’échec. Comme si je voulais lentement me punir d’une faute céleste, et que je me punissais très lentement. En m’enterrant un peu plus. À chaque fois en recouvrant mon corps de terre. Au lieu de me donner une mort rapide.

Tu crois que je te parle d’elle parce que j’ai faim ? Non. Rien à voir. Ce qui était bon ce n’est pas ça, je te l’ai dit, c’est la douceur.
Et je n’ai pas fait attention, trop occupé comme maintenant à m’enterrer pour une faute céleste que je ne connais même pas.
Quand je vais chez elle, elle a déjà fumé un pétard, et elle boit une bière. Elle a fait à manger aussi. Sauf quand je lui ai dit que je m’en occuperais. Mais même à ce moment-là elle a fait quelque chose.
Et quand j’arrive on boit une bière.
Mais ça, c’était avant, comme la pub pour les lunettes. Sauf que moi clairement je n'y vois pas plus clair aujourd'hui.
Aujourd’hui je ne lui ai rien laissé et quand je te parle de douceur dont je me souviens, elle doit se souvenir de l’amertume que j’ai laissée sur le pas de sa porte.

J’aurais dû être plus doux moi aussi quand j’allais chez elle. J’aurais dû lui cuisiner des trucs à manger.
Pour qu’elle voit que moi aussi j’ai déjà pensé à elle quand on ne se voyait pas.

Et maintenant que je n’ai plus rien je me souviens de la douceur et je me rappelle lui avoir dit, un peu. Et ça me fait du bien.
Et ça me rend triste. Parce que cette douceur je sais que je ne l’aurais plus. Et parce qu’aujourd’hui si je devais avoir quelque chose, ça serait tout juste du mépris.
Et sa tristesse, parce que je lui ai fait du mal.

C’est tout ce que j’ai pu lui donner moi, alors qu’elle faisait à manger pour me l’amener dans un tupperware le soir où on se verrait.

Je suis celui qui casse tout.
J’ai plein de souvenirs très doux d’elle. Et elle, je ne lui ai rien laissé. La honte, l’humiliation, l’amertume.
Je suis celui qui casse tout.  

J’aurais dû lui cuisiner des trucs à manger, pour quand je serais allé chez elle. Pour qu’elle sache que moi aussi je pense à elle quand on ne se voit pas.
Mais non, j’étais trop occupé à m’éloigner de tout… m’enterrer tout seul. À cause d’une faute céleste que j’ai dû commettre avant ma naissance et que putain je me souviens même pas.


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