vendredi 23 mars 2018

Morts les enfants

Il y a celle que tu vois vieillir. Non pas grandir, mais vieillir. Du regard.
Qui était adorable en début d'année et dans les paroles de laquelle commencent à poindre la méchanceté et l'amertume de plus en plus gratuite. Contre la pouilleuse de la classe aujourd'hui.

Il y a celui qui t'avait interpelé par son regard de défiance, regard qui en fait est celui du gosse dont les parents ne se déplacent même pas quand tu leur a donné rendez-vous pour parler du cas problématique de cet enfant qui ne compte pas vraiment apparemment.

Il y a celui qui te regarde de haut pour te faire comprendre qu'il sait que les adultes comme toi il les connait et il n'y croit plus, et qui pleure, quand-même, le jour où tu lui dit qu'il faut voir ses parents. Et ton étonnement parce qu'avec tout ça, tu avais oublié qu'il n'a que onze ans.

Et il y a son pote d'école, et pote de couleur de peau renoi parce qu'on se serre les coudes frère... (sic) lui qui reste gentil et délicat , même quand il te dit, avec le sourire franc de l'élève qui attend que tu te marres de sa vanne, que c'est du racisme lorsque tu prends le carnet de correspondance d'un enfant (noir aussi) qui fout manifestement le bazar en classe. Alors tu ris parce qu'il te fait un signe de tête de connivence, puis vient cette idée que malgrée l'intelligence  et la bienveillance manifeste de son propos, il faut en avoir vu pour avoir conscience de ça et accepter d'en rire avec fatalité.

Il y a celle qui veut rester pendant la récréation parce qu'elle n'iame pas aller dehors avec les autres. Elle qui a une toute petite voix, et qui te confieras, quand tu lui demanderas si tu peux lui parler, que sa maman lui fait faire toutes ces taches ménagères à la maison parce qu'elle lui en veut - pour une raison qui restera un mystère - mais que, soit rassurée, son père, lui, la défend.
Tu n'as pas le temps de réaliser tout ce qu'elle te dit, trop occupé à ne pas la heurter, parce qu'elle a commencé par me dire qu'elle voulait bien me parler sauf si c'était pour voir un psy parce qu'elle ne les aime pas et que ses parents ont déjà eu des problèmes avec les services sociaux à cause des psy. Et elle en a déjà vu. Et elle veut plus.
Cette fille, quand je lui demande plusieurs mois plus tard si sa maman continue à la faire travailler à la maison comme une "mini adulte" (drôle de façon de se percevoir pour une enfant), m'a répondu un peu mécaniquement que non virgule ça va mieux merci. Puis le regard part loin et elle s'en va.

Tu as celui qui ne dit rien. D'un calme très étrange, gentil, poli mais en total décrochage, et qu'on a attendu un matin de sortie scolaire, en espérant que cette sortie porte-ouverte lui redonne envie de tafer à l'école, mais il n'est pas venu. A la place on m'a apporté un rapport d'exclusion  temporaire parce qu'il a brûlé des cartons dans un couloir du collège avec un camarade. La semaine prochaine on voit la mère parce qu'il a blessé un surveillant qui l'a empêché de sortir en force du collège il y a peu.

Il y a eux, elles, et les autres. Il y a le temps qui passe, mois après mois, et qui avale vitesse grand V ces enfants et les recrache en leur collant sur la peau un peu plus de colère, de racisme et d'abandon.

Le temps qui broie les gens et les abîme.
Et tu observe lentement des enfants curieux, gentils et sensibles entrain de s'éteindre et devenir lentement les blessures béantes du monde de demain.