Il y a des
gens pour te rappeler comme ce que tu éprouves pour eux n’a pas d’importance.
Pas parce qu’ils
s’en foutent. Pas non plus parce qu’ils te l’ont déjà dit dans les moments où
ils ont eu à souffrir de vos conneries.
Dorothy a
été de ceux-là.
Je me suis
découvert avec Dorothy des pulsions que je n’avais pas. Des pulsions cools
déjà. Et aussi des pulsions bienveillantes… limite proches de l’hystérie de
conversion au sens clinique. Parce que quand tu vois quelqu’un que tu aimes
dans la mouise, tu ne réfléchis pas trop. Tu fonces sans te demander si ce que
tu fais est très pertinent.
Et tu ne te
demandes pas non plus si ça va arranger quoi que ce soit.
Pour finir, il
y a eu des pulsions de sauvegarde
personnelle. Parce qu’on s’y est mal pris, et qu’on a fini par se noyer tout
seul dans les problèmes de l’autre.
Avec Dorothy
j’ai fini par comprendre très récemment que je suis passé à côté de quelque
chose.
Mais c’est
parce que je suis parti du principe qu’on peut entendre ce qu’a vécu une
personne si l'on possède suffisamment d’écoute. Mais non. Ça nous rassure,
juste. C’est tout ce que ça fait.
Alors j’ai
eu beau essayer d’écouter pour entendre, je suis probablement passé à côté de
Dorothy.
Rétrospectivement,
je ne crois même pas que Dorothy m’a demandé quoi que ce soit.
Et c’est là
que vient l’inutilité dont j’ai parlé tout à l’heure si tu me suis.
Et du coup,
quand j’ai foncé tête baissée, j’ai été un peu ce type à qui on raconte qu’on
vient d’avoir un accident de voiture qui a tué toute la famille, et qui veut à
tout prix te consoler. Alors il te propose avec la plus grande compassion si tu
veux un bon sandwich pour te remettre.
Euh, Franck.
Sérieusement.
Je me dis qu’elle
a dû être contente de mes sandwichs parfois (note que mes sandwichs déchirent
la maman…), mais je me dis que mes réactions ont été étrangement liées à moi.
Et non pas à Dorothy la pauvre.
Elle ne m’a
jamais rien demandé. Et c’est vrai je suis pas psy, zut quoi.
Je ne m’énerve
pas, je le dis pour moi, juste.
J’ai eu beau
être triste et malheureux d’avoir l’impression que Dorothy se noyait parfois,
je crois que mon idée inutile de mettre un peu de fric de côté, ou de penser à
ci ou ça pour au cas où… je me dis que ça n’a servi à rien. Ça m’a rassuré.
Juste moi.
L’impression
d’avoir été inutile. Mais on se conditionne. Alors l’impression de m’être
inutilement conditionné.
Au fur et à
mesure des années j’ai insidieusement modifié mon comportement, mes réflexes,
mes attentions et toute mon attention pour les faire tourner malgré moi autour
de Dorothy.
Et même
après que je n’en puisse plus. Tu parles. Je l’ai dit, mais rien.
J’ai
continué à penser mon centre de gravité autour d’elle. J’imagine que les
psychopathes un peu creapy ont ce genre de réflexes lorsqu’ils observent avec
des jumelles tous les soirs la même nana derrière la fenêtre de chez elles, de
l’autre côté de la rue. En espérant que cette fois, dans l’intimité de leur
appartement, elles auront besoin de quelque chose (n’importe quoi. Un
tire-bouchon, ou une autre connerie), et qu’ils pourront débarquer en cassant
la porte pour leur apporter immédiatement le susmentionné tire-bouchon devant
le regard plein d’effroi de cette nana qui ne connait pas ce con.
Je me suis
préparé à des coups de main inutiles. Je ne pouvais pas faire mieux.
Des coups de
main inutiles. Plein en stock.
Ça a duré
des années.
Et avec ça,
la volonté de m’éloigner parce qu’une part de moi n’avait pas envie de ressembler
à ce psychopathe de l’autre côté de la rue.
Parce qu’on
peut être dépassé par ce qu’on croit être les besoins de quelqu’un. Et que j’ai
été dépassé par ce que je croyais être les besoins de Dorothy. Je n’ai
probablement rien compris. Et elle a probablement fini par me demander des
choses en conséquence.
On ne réagit
qu’en fonction de soi, quand on ne comprend pas l’autre.
C’est
inutile. Et ça abîme. Mais c’est humain.