vendredi 24 août 2012

Les hommes aussi aimeraient qu'on leur offre des fleurs

Le vingt-quatre décembre.

Il est bien habillé aujourd'hui. Donc il n'a pas mis son tee-shirt à l'enseigne du magasin sans doute pour se laisser le temps de parader dans sa belle chemise. Pour en profiter un petit peu.
Un je ne sais quoi donne l'impression qu'il ne sait pas être élégant. Un peu comme le quidam moyen qui s'est habillé en vêtement du dimanche un autre jour que dimanche pour donner l'illusion qu'il est bien habillé en toute occasion, et qui toutefois ressent un certain malaise parce qu'il sait très bien qu'on est pas dimanche. Et ça le gêne.
Une sorte de fierté dans ses épaules anormalement droites peut-être. C'est objectivement un beau jeune homme. Au corps athlétique. Mais ses gestes manquent de naturel dans sa belle chemise.
Je lui dis que sa chemise est belle. Qu'elle est bien coupée. Il tente un sourire de merci, je sais mais sa fierté grandissant à l'instant me laisse entendre qu'un tel compliment est nouveau pour lui.
Le mec fière de parader en habits du dimanche fera comme ces enfants qui demandent à maman s'ils peuvent garder leur beaux vêtement encore un peu avant de les enlever. Il paradera pour mettre la vaisselle sale dans l'évier, il paradera pour aller à l'épicerie chercher un kilo de pâtes.Il paradera pour tout. Parce que tout le monde aime se sentir beau.

Il est caissier. Pas vraiment le lieu ni la fonction qui permette d'être mis en valeur. Et quand tu expose une reproduction de Van Gogh au milieu de calendrier de la Poste dans un intérieur de mauvais goût, ça fait l'effet attendu. Laid.
Laid mais aussi un peu ridicule.

Il porte une chemise et parade avec parce qu'il n'a pas l'habitude. Parce qu'on est au réveillon de Noël et que la grande surface nous a donné la permission de bien nous habiller pour l'occasion. Alors il a obéis. Et il a mis une chemise. Une chemise qu'il porte comme la reproduction du Van Gogh. Elle est belle. Au point qu'on aurait envie de la voir portée par quelqu'un qui sait porter une chemise.

Voilà. C'est souvent comme ça ici. Parce que c'est une grande surface. Parce qu'on bosse sur la "ligne de caisse". Et parce qu'il passera toujours dans nos mains du poisson et du déodorant sans alcool. Aucune chemise ne conviendra jamais. Et à chacune d'elle que l'on portera pour les Réveillons de Noël, on passera à jamais pour des éboueurs qui ne savent pas rester à leur place. A leur place près du poisson mal emballé. Celui qui fuit et que tu ramènes chez toi avec dégoût. 

samedi 18 août 2012

Le pays d'Oz


Je la jette comme une poupée de chiffon avec un seul bras sur le canapé/futon qui se trouve à un mètre. Elle est sonnée. Elle se recroqueville et alors que je fonds sur elle, elle lève les yeux pour me regarder. Je lui donne probablement ce qui est la plus grosse gifle que j’ai donné à quelqu’un.
Elle s’effondre sur le canapé et je crois qu’elle se met à pleurer.

Je sens la chaleur dans toute ma main. Une chaleur piquante. Je me dis qu’elle a dû avoir mal. Elle a d’ailleurs l’air sonnée.
Je pense j’espère que ça lui servira de leçon et je me dis que dans des circonstances légèrement différentes, je serais un enfoiré de bourreau. J’ai l’impression de naviguer dangereusement, mon comportement si proche de celui de ces hommes un peu trop testostéronés qu’il faudrait soigner à coup de castration. À aucun moment je n’ai senti une quelconque hésitation, à aucun moment, sur la réaction à adopter. Je sais avec certitude que j’aurais été plus violent encore s’il l’avait fallu.
Probablement un peu comme ces hommes testostéronés, d’ailleurs, forts de leurs propres certitudes. 
Le mec qui est avec nous s’est levé pour m’interpeler. Le ton de sa voix est incrédule même si, s’il avait voulu, avec sa quinzaine de centimètre et sa soixantaine de kilos de plus que moi, il aurait pu me faire volé tout comme je l’ai fait voler elle à l’instant. Je suppose que c’est l’incertitude qui l’a arrêté. Et quelque chose d’autre. Quelque chose de plus vindicatif au fond de moi.

Au pays d’Oz on oublie trop souvent  qu’il y a des sorcières. Je ne me souviens pas avoir déjà fait tomber une maison sur quelqu’un et je présume pareil des gens souvent. C’est pour cela que parfois quand au détour d’un verre, on part un peu loin, on est pris de crainte presque enfantine.
On a peur de la méchante sorcière de l’Est.
Pourquoi je te parle d’Oz ? Parce que quand on part un peu loin au fond du verre, on part souvent pour chercher un peu de courage, un peu de cervelle et un peu d’amour même si ça peut paraître hors de propos. Et comme les verres tombent plus vite que les tornades, ça arrive plus souvent qu’on ne le croit de se perdre nous-même, ou de voir quelqu’un, sans crier Gard, tourner de l’œil et commencer en pente douce sa longue descente sur la route de brique jaune.
Ça arrive et on le sait quand la personne ne regarde plus ce qui passe devant ses yeux, mais chante une petite chanson gaie et dépose son verre, commençant à tituber vers quelque part de pas très sûr. Un endroit de la pièce qui n’existe pas.

Elle pleure avec une main sur sa joue. Je la menace. Je lui ai dit plus tard que la prochaine fois qu’elle fait ça devant moi, je lui briserais le nez, et qu’elle aura mal, et qu’elle aura une cicatrice toute sa vie, et que comme ça, chaque fois qu’elle se regardera dans la glace elle repensera si tu veux faire ça, fait-le toute seule. Le mec avec moi dans la pièce s’avance timidement pour s’interposer. Son poids et sa taille lui permettraient de me stopper sans aucune manière  alors je lui dis sans plus d’explication qu’il ne l’a pas vu faire.

Parfois tu es obligé de suivre l’autre au pays d’Oz pour le ramener. Alors tu bois un peu plus juste avant parce que tu sais qu’il y a beaucoup de route et que tu n’es pas forcément préparer…
Je pourrais appeler ça comme je veux, mais au pays d’Oz, chacun cherche sa pépite d’or personnel, alors il n’y a pas de nom pour dire ce qu’il y a dans les yeux de l’autre quand je la vois s’avancer. Juste je lui dis de faire attention. Elle me répond du fond de son empire que oui oui. Mais quand on marche sur la route de brique jaune on ne peut rien promettre à personne. Parce qu’on veut juste rentrer chez nous. C’est pour ça qu’on descend le long de la route de brique jaune. Si en même temps, on trouve un peu de courage, de cervelle ou de cœur c’est pas plus mal, mais on veut juste rentrer chez nous. Elle me répond oui oui  comme cela. Avec la voix éloignée de celle qui est prêt du but.

 Ce que j’ai pris pour une colère débordante de vitalité doit être en réalité les restes d’une frayeur glacée qui a traversé tout mon corps plus violemment qu’une décharge électrique me rendant surpuissant. C’est probablement cela qu’a vu le mec qui est avec moi dans la pièce, au fond de mes yeux, plus qu’une certitude venant de je ne sais pas où.
Je me baisse au niveau de la fille et je lui dis qu’on y va. Elle me répond un oui franc. De toute évidence, avec ou sans moi, elle y va.
Elle est encore au pays d’Oz un peu.
Je me demande si j’ai bien fait. Et je me raccroche à l’idée que je n'aurais pu la laisser faire qu'au prix de ma propre santé mentale. N’empêche que quand elle s’est approchée de la fenêtre, elle avait l’air un peu plus libre. Et j’y pense parfois.

La liberté que l’on cherche parfois en prenant la route de brique c’est juste le fait de rentrer chez soi. Du courage, un cerveau ou un cœur, c’est secondaire quand on a que vingt ans et que déjà on veut rentrer. Le regard au loin, obnubilé par cette simple idée.
Elle s’avance pour regarder le ciel par la fenêtre.
Elle monte sur le parapet de la fenêtre. Il fait bon.
Elle a l’air éteinte. Et c’est parce qu’elle agit très lentement que je ne l’avais pas vu qui passait le deuxième pied derrière la rambarde.