dimanche 8 avril 2012

Les garçons l'appelaient naïade, et je devrais grandir aussi.


Entre eux, secrètement, les mecs l’appellent bouche à pipe. Parce que faut l’avouer, c’est le genre de fille qui te donne envie de t’asseoir en face d’elle avec un bon coussin sous le cul et le lui mordiller les lèvres délicatement, à l’infinie, tellement elle a la bouche pulpeuse. 
La bouche qui crie braguette. Oui. C'est un peu ça.
Moi j’aurais pas vraiment pensé à ça à l’époque où on lui a donné ce surnom, au collège, parce que j’ai toujours mis plus de temps que les autres à m’éveiller à toutes ces choses. mais j'avoue, aujourd’hui, depuis un certain temps, je la regarde plutôt entièrement à chaque fois qu’elle m’adresse la parole.  Et pas que sa bouche. S’ils avaient attendu juste un peu plus de temps après le collège, ils l'auraient finalement affublé d’un autre surnom du genre « corps de rêve qui donne envie de s’attarder sur tous les plaisirs de la chair, avec une bouche à pipe aussi, mais qui va délicieusement avec le reste de sa personne » ou un truc comme ça, parce qu’il faut avouer aussi qu’elle avait un corps sublime de danseuse de morderne-jazz. En un an, entre le collège et maintenant, c’est bien ce qu’elle est devenu. Une superbe… superbe jeune femme.
Quel dommage que sa plastique ne lui ait empêché de montrer à qui voudrait l’entendre l’étendue de sa perspicacité (par là où les garçons la regardaient, il n’entendent évidemment pas grand-chose).
Et c’est bien de ça dont il est question aujourd’hui. Elle me parle de ce looser (puisque tout hétérosexuel mâle normalement constitué nommerait looser celui qui laisse tomber ce genre de jeune femme alors qu’elle est éprise de lui) – qui, effectivement est un nase – qu’elle n’arrive pas à oublier et me demande mon avis.
Elle me demande à moi, sans pudeur, malgré le fait que nous ne soyons pas à proprement parlé des amis déclarés, pour deux raisons. La première est que nous nous sommes toujours inspiré un respect mutuel depuis que nous avons été dans la même classe, au collège. Que nous nous aimons bien, et que, si je pense que nous ne correspondons pas exactement aux critères de l’autre pour quelque raison que ce soit, je pense pouvoir dire néanmoins qu’il y avait en nous une espèce d’alchimie que je n’explique pas. Mon alchimie à moi, je le crains, n’étant pas aussi subtile que la sienne.
La deuxième raison est probablement que ma sœur et elle font de la danse ensembles. Activité qui est à l’origine, je l’apprendrais dans cinq minutes, de beaucoup de discussions fortement développées sur des sujets aussi singuliers d’imprévisibles. Et nous savons tous que les discussions, au cours de ces séances de hammams intellectuels, se transforment souvent en confidences. Et ça créé des liens forcément. Liens dont je fais les frais en ce moment même sans le savoir. Je remercierais ma sœur longtemps en rentrant après cette journée.
La troisième raison est que nous sommes le trente juin, que nous sommes au dernier jour de notre année de Seconde, et que le soleil éclatant se reflète sur une eau magnifique d’un lac magnifique, autour duquel tout le lycée se réuni traditionnellement le dernier jour d’école, et que nous somme saouls depuis quinze heure et ravis d’être tombés l’un sur l’autre par hasard.
Je ne sais pas très bien les mots que j’emploie pour lui parler d’elle, de sa relation avec lui, de lui – que je connais un peu – , mais il semble que l’impact sur elle soit inattendue (et pourtant, je suis du genre à attendre beaucoup de l’impact que j’ai sur les gens).Elle « réalise enfin… ». « Ce mec  est un con. » Très probablement, oui. Il semble que je sois pendant quelques minutes un génie. Cool. Mais il y a mieux : elle veut que pendant notre ballade autour du lac, nous passions dire bonjour à une de ses amies qui se trouve grosso modo dans la même position qu’elle il y a encore deux minutes. Elle veut que je lui parle aussi. Elle veut que je la réveille comme je viens de la réveiller, elle. Parce qu’elle trouve que j’ai vraiment raison, que mais oui ! mais c’est ça… et que c’est dingue comme je viens de lui faire prendre conscience de quelque chose.
J’en suis d’autant plus ravi que mon Ego est doublement flatté. D’une part par l’éloge dithyrambique  qu’elle fait de mon analyse et d’autre part parce que sa copine que nous allons voir prestement est d’une beauté tout aussi remarquable et désirable d’une tout autre façon mais non moins intensément que ma collègue de cet instant. Et qu’il y a peu de choses équivalentes à l’éloge qu’une femme sublime fait de vous à une autre femme sublime.
La gratitude et l’alcool, sur le chemin, la mettent à l’aise à mon endroit… et voilà qu’elle commence à me parler plus ouvertement. D’elle, et de moi. Rien de très entreprenant, puisque je l’ai dit tout à l’heure, il n’y a mystérieusement aucune ambigüité entre elle et moi. Ce qui ne m’empêche pas de prendre l’agrément comme il vient. Elle trouve incroyable qu’il y ait encore des garçons comme moi, des garçons qui ne pensent pas avec leur bite, elle trouve bien qu’il y ait encore des garçons qui peuvent regarder une fille sans faire de probabilité sur leur chance de se la taper. Elle trouve rassurant qu’il y ait encore des garçons qui ne cherchent pas systématiquement à séduire ou qui ne voient pas chez une jeune femme que le corps qui l’enrobe. Qu’il y ait des garçons qui soient encore capable, comme moi, d’envisager une fille comme une personne, au travers ce qu’elle pense et ce qu’elle a à dire.
(Je te laisse une minute pour sourire, salaud)
Mais il est vrai qu’à l’époque j’étais comme ça. J’étais de ceux qui ont été baignés par beaucoup de principes, et qui s’y sont réfugiés parce que  j’avais comme eux oublié en route d’acquérir le courage de draguer toutes les jeunes femmes dont je rêvais secrètement. Je n’avais pas encore acquis un peu de cette assurance superficielle qui rend quelque chose de médiocre sublime grâce à l’aplomb que l’on possède en en parlant. J’avais au sujet de ma personne cette humilité qui n’a rien d’une qualité puisqu’elle résulte simplement d’un manque. Manque de confiance en moi, manque de conscience de ce que j’étais alors… je suis un ramassis de  complexes et d’espoirs inextricablement entremêlé dans un corps qui se trouve objectivement pas très beau. J’étais ça, et je ne croyais pas réellement que de cela puisse s’extirper quelque chose de séduisant.
Elle est enthousiaste depuis une bonne vingtaine de minutes maintenant. On a croisé sa copine qui nous a dit qu’elle repassera tout à l’heure parce qu’elle a un truc à faire. Et elle reprend à mon sujet. Elle finit par me dire comme pour appuyer ses dires (qui selon moi n’ont nullement besoin d’être appuyé, évidemment) que c’est ce que ma sœur leur a dit un jour en cours de danse. « elle nous disait une fois que ce qu’elle trouve bien chez toi c’est que tu n’as pas une bite pour plaire… et c’est vrai ». C’est rare semble-t-il. Chouet. Je te passe le doute qui m’assaille lorsqu’elle me dit ça, parce que je ne comprends pas trop ce que ça veut dire (je te l’ai dit tout à l’heure, je suis légèrement attardé concernant tout ce qui est question bite et tout ça), mais je suppose que c’est élogieux puisque c’est ça qu’elle fait depuis tout à l’heure. Me congratuler.
Pendant qu’elle me parlait, au fond de moi, comme pour salir l’espoir qu’entrevoit ma pote « aussi séduisante qu’un premier jour de vacances d’Eté » je sens monter comme un doute. Comme une injustice faisant naitre l’intention nouvelle de réparer une grave erreur.
Parce que malgré tout ce qu’on dira, ma collègue de ballade de cette après-midi est sublime. Et c’est à cause de son corps incroyablement bien dessiné que les garçons n’ont pas vu qu’elle est pourvu aussi d’un esprit vif.  Qu’ils n’ont pas vu que sa bouche, responsable de ce surnom grotesque de « bouche à pipe » lui sert aussi à dire des choses très intéressantes, à se révolter, à pousser des cris du cœurs charmants. Et ce, même si cette bouche donne aussi envie qu’on la goutte en glissant ses lèvres entre les nôtres.
C’est donc pendant qu’on se dit au revoir que je me promets qu’un jour, j’aurais le courage de  rendre hommage entièrement à ce genre de femmes. Non seulement aux idées qu’elles expriment, mais aussi au corps qui les meut.

Je repense à son « … ta sœur disait : mon frère n’a pas une bite pour plaire. Et c’est vrai… ». C’est vrai. Mais pour combien de temps ? Et qui est à l’abris de penser avec sa queue un jour ou l’autre ? Même les femmes pensent avec leur bite.

Je repense à cette sorte de compliment : je ne pense pas avec ma bite, et en cette fin d'après-midi, au soleil de juin, je pense paradoxalement qu’il serait peut-être temps de m’y mettre.