samedi 12 novembre 2016

Dans ces cas là, je mets un épisode des Simpsons



Des amis ?
Laisses. Tu sais pas, j’en ai plein.
On m’attribue même certaines qualités du genre que tu n’as jamais vu, même si je sais que si, tu les as vues, mais je veux juste dire par là que ce sont certaines qualités pas piquées des hannetons.
On peut tout me dire.
Je ne suis jamais dans le jugement.
Je comprends plein de choses, je suis bienveillant. Ne ris pas. Parfois c’est un peu vrai.
Parfois j’y pense parce que ça redore mon blason intérieur (celui-là même que personne ne voit, d’où l’intérêt de le garder propre, parce que s’il est sale on sait qu’on ne peut s’en prendre qu’à nous-mêmes, alors on fait attention).
Et parfois je n’y pense pas.
Parce que je me traine avec la bourse légère d’un argent que je n’ai pas. Et de bourse métaphorique je n’ai pas non plus si tu fais bien attention parce que d’argent je n’ai jamais eu. Mais les gens ne le remarquent pas parce qu’on imagine toujours qu’en réalité quelqu’un a toujours de l’argent quelque part. Pas d’inquiétude donc.
Quand le temps passe et même si j’ai un orgueil démesuré doublé d’une conviction fanatique en mon avenir glorieux, je vois de plus en plus suinter de ma situation précaire un petit truc curieux. En soi, on se dit devant la glace de notre salle de bain égotique « ça fait pitié… ».
Pas tant que ça, parce que j’ai des amis. Et qu’ils croient en mon talent. Ouf, ça fait du bien.
Et puis l’une me dit qu’il a trouvé un nouveau travail, pour lequel il n’avait aucune compétence. Et il me raconte ses deux mille cinq cents balles par mois sans compter les stock options et primes.
Ça me fait plaisir en même temps que le sentiment amer d’avoir fait de toute évidence les mauvais choix dans la vie.
Mais non, rassure-toi Franck, tu as du talent, ça ne fait aucun doute.
Ah… ouf. 
Il y a l’ex qui m’envoie un texto pour me parler de nos baises, qui étaient somme tout assez extra. Et en vrai, c’est vrai. Tellement que ça m’arrive parfois d’y repenser spontanément. Elle me demande d’ailleurs si je me rends compte que ça fait 5 mois qu’on n’a pas baisé. Je lui dis que oui.
Oui parce que depuis le temps l’angoisse de ma situation m’a un peu couper la goal alors quand je rencontre quelqu’un je galère un peu à baiser, même si ça pourrait être cool. Ce n’est pas ça.
L’ex a continué de feindre de penser que si j’ai rompu avec elle c’est parce que je n’aimais pas le sexe avec elle. Ou que je ne l’aimais pas. Ou que sais-je encore. Elle l’a toujours pensé.
La vérité c’est qu’à trente-cinq ans, quand tu approches de la moitié de ta vie et que tu es encore obligé d’attendre d’avoir bien faim pour être content de manger tes saloperies de pâtes, parce que tu ne peux rien acheter d’autre, c’est qu’un truc dans la vie ne s’est pas passé comme prévu.
Et l’angoisse, et le temps qui s’accélère te susurrent qu’il est temps de te mettre au travail Franck, et sérieusement, parce que mourir comme une merde, ça arrive. Même à des gens bien.

J’ai des amis, ne crois pas. J’en ai plein.
L’ex m’appelle pour me parler de choses parfois intimes, parce que je la comprends bien. Et parce que je la connais bien et que je suis de bons conseils et tout. Du coup je lui dis parfois de ne pas m’en dire trop, parce que si ma vie m’angoisse au point que j’ai rompu avec elle, ce n’est pas parce que je la trouvais chiante, ou qu’elle avait arrêté de me filer la gaule pour un rien.
Mais elle n’écoute pas, et elle me parle.
Ce coup-ci elle me dit que ça fait cinq mois qu’on n’a pas couché ensemble. Je sais. Elle me dit que désolé, mais que c’est parce qu’elle a le feu aux fesses en ce moment, mais que – que je me rassure – ça ne voudra pas dire qu’on recouchera ensemble.
Je suis super compréhensif. Du coup on me dit tout.
Chouette.

L’amie qui a trouvé le super taf m’envoie un texto pour me dire que le shooting pour le book de sa fille est annulé. Elle s’excuse. Je lui dis que ça arrive. On ne force pas un enfant. Je me demande comment je vais pouvoir payer mon assurance civile professionnelle.
L’ex me dit de lire entre les lignes quand elle me dit qu’elle a le feu aux fesses, que c’est plus elle que moi que ça devrait déranger. Je lui rappelle qu’elle a une propension à péter des câbles à la moindre éventualité de sous-entendu concernant ma vie sexuelle (ou plutôt ma non-vie sexuelle, presque – mais comme je ne m’étends pas sur la question…).
Je pense à son cul, à ses seins et à notre façon de nous rouler des pelles quand on faisait l’amour et que je glissais mes doigts partout. À sa façon, elle me rappelle aussi tout ça. Me fait savoir un peu pour rire que je ne dois pas me plaindre puisqu’elle s’est un peu disputée avec son petit ami il y a quelques jours alors tu vois que pour elle aussi ce n’est pas super funky en ce moment.
Hm, non. Je ne vois pas.

Je suis seul parce que comme le temps passe très vite je dois choisir mes priorités. Et de toute évidence mon cerveau me laisse le choix entre faire une chose et en faire une autre. Alors j’ai choisi de me cantonner à essayer de gagner un peu d’argent, histoire d’arrêter d’avoir un peu honte socialement. Vu que j’ai du talent, et tout ça…
Je sais que la prochaine nana que je rencontrerais je devrais lui dire gentiment que c’est mort parce que c’est cool entre nous tu vois, mais je suis pauvre et le temps passe.
Mon amie m’explique qu’elle est désolée pour le shooting annulé. Je pense à ma caf qui va diminuer de cent euro d’ici quelques mois à cause de mon statut d’entrepreneur.
Puis elle me dit qu’à côté de son job, elle a réussi à choper deux contrats pour un autre taf. La moitié d’un SMIC en deux heures. Je lui dis chouette. Puis elle me dit que demain aussi, un autre contrat et qu’elle se fera mille huit cents euro en deux jours de travail. Je pense au shooting qui m’aurait bien dépanné et je me dis merde, quand même.
Et puis je pense aux sept mille balles que je dois à mes parents, à ma sœur qui m’a prêté du fric que je ne compte plus. Tout ça parce que j’ai du talent et que ça ne fait aucun doute…
Et pense que j’ai trente-cinq ans et que peut-être que finalement, mes parents qui commencent à se faire vieux mourront avant que j’aie pu les rembourser.
Je pense à cet échec là de mon existence, qui sera gravé en sous-entendus sur leur pierre tombale. Je pense à ce succès qui viendra je ne sais pas quand et laissera la première moitié de ma vie dans le noir, avec tout ces gens que j’aurais eu le temps de connaitre et de quitter sans n’avoir été autre chose qu’un pauvre pas encore tout à fait SDF.
Je dis à ma pote de prendre en considération ma situation et d’y aller doucement avec toutes ses annonces de pognon qui tombe. Sa réponse est de me proposer de me prêter de l’argent. « Le pognon il faut que ça tourne ».
Je croirais entendre le jeune qui vient de gagner le jackpot et pour qui, comme par magie, tout est une question chiffres sur le chèque.
Je lui réponds qu’elle s’est trompée, que je ne tape pas la manche.
Je dis à mon ex de faire attention à ce qu’elle dit et que la prochaine fois qu’elle a le feu aux fesses sans arrière pensée-même-si-un-peu-mais-sans-méchanceté, elle n’a qu’à baiser avec son petit copain dont elle m’a déjà tant parlé...
Je me dis chouette.
J’ai de la chance d’avoir tant d’amis qui me parlent ouvertement.

Je pose mon téléphone.
Les gens me parlent beaucoup... et parce que je suis compréhensif et sans jugement, viens le moment où je coupe mon téléphone et les ponts, petit à petit avec les gens que j’aime.
Alors je fais le vide autour de moi.
Et j’attends de voir de quel côté du précipice ma vie est en train de tanguer.
Et je me demande si je ne vais plus avoir d’amis, ou si je vais louper ou réussir ma vie d’abord.