mercredi 17 juillet 2013

Les cowboys solitaires

J'ai les yeux plissés par le soleil et le sable porté par le vent.
Je devrais rentrer mais j'attends.

On m'a dit d'attendre. Alors je reste assis sur le perron de cette vieille baraque en bois qui n'est même pas à moi. Je ne sais pas à qui elle est. Quelqu'un qui l'a acheté pour être tranquille je suppose, parce que depuis que je suis sorti devant la porte pour m'asseoir, et ça fait quelque temps, je n'ai jamais vu passer personne. Il n'y a tout autour de la maison que du sable. Ou du sel, je ne sais pas très bien. Quelque chose d'impitoyable pour quiconque chuterait à cause de la déshydratation. Quoique ce soit, ça m'est un peu égal puisque je suis juste sorti sur le porche pour attendre le retour de quelqu'un.

On a tous un fantôme qui nous a un jour dit d'attendre. Attends moi, je reviendrais. On en a tous un quelque part. Le tout est de savoir si on l'attend ou si on laisse tomber pour continuer, avec à jamais cette petite impression de ne pas avoir attendu.
À tord ou à raison.
On a tous un fantôme qu'on attends ou qu'on n'attend plus.

Ne pas attendre ? Pour que ce fantôme ne me lâche plus ? Pour qu'à jamais chaque pas que je ferais dans l'existence le soit grâce à cette "non-attente" ? Je tiens trop à ma liberté pour l'entériner dans une permission de ne pas attendre. Plutôt en finir.
C'est pour ça que j'attends. Pour rester libre.
Enfin, je me comprends.

Je regarde au loin parfois parce qu'il me semble avoir vu quelque chose, mais c'est toujours un mirage. Toujours. Je me fais toujours des idées dès que je crois qu'il approche quelque chose.
On a tous en nous un fantôme qu'on attend. Les yeux plissés par le soleil, sur le perron de notre baraque en bois mal foutue.
Il y a des gens qui n'attendent pas encore quelqu'un. Ceux-là n'ont pas de maison mal foutue. Ceux-là ne sont même pas là, dans ce désert. Je ne sais pas si on fini par être locataire d'une baraque mal foutue à force d'attendre..., ou bien si c'est parce qu'on habitait ici qu'on a fini par attendre qui que ce soit qui est parti, en espérant qu'il reviendra.
Je ne me souviens pas.

Je me souviens avoir toujours attendu. Et puis un jour, c'est un fantôme qui m'a dit de l'attendre parce qu'il reviendrait. Alors je me suis assis sur le perron, sur un vieux fauteuil en osier, les yeux plissés par le soleil. Et j'ai attendu.
Parfois je rencontre des voisines. À ma droite. Ou à ma gauche. À quelques dizaines de mètre. Pas trop près, pour ne pas gêner nos baraques mal foutue. On se parle. On échange un peu d'idées. Elle est assise sur un perron aussi. Elle attends un fantôme aussi. On en parle pas pour se laisser le loisir de nos conversations. Et puis à force d'attendre sur sa chaise, on parle de plus en plus fort pour se faire entendre. Au lieu de se rapprocher.
On comprend souvent mal ce que l'autre dit à une telle distance. Alors on fini par laisser la discussion s'étioler doucement et on détourne les yeux vers l'horizon parce qu'on croit voir quelque chose. Quelqu'un qui se rapproche. Un fantôme qui revient.
Mais c'est toujours en imagination.
Je ne sais même pas si j'ai bien entendu. Je ne sais même pas qui est sensé revenir. Je ne sais pas ce que je fais là à attendre.
Mais si je pars aujourd'hui, et que je rate l'occasion d'être heureux lorsque mon fantôme reviendra...
Et si je décide d'arrêter d'attendre, et que, à jamais tout ce que je ferais c'est d'avoir arrêté d'attendre...
Il va bien finir par passer quelqu'un sans baraque. À portée de voix. Quelqu'un avec qui on pourra se comprendre parce qu'on est assez proche.
Et là je n'aurais même pas l'impression d'avoir cessé d'attendre. Je ne penserais plus à ces fantômes qui n'existent pas.
Il faut juste attendre que passe quelqu'un.
Ça aussi.

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