J'ai les yeux plissés par le soleil et
le sable porté par le vent.
Je devrais rentrer mais
j'attends.
On m'a dit d'attendre.
Alors je reste assis sur le perron de cette vieille baraque en bois
qui n'est même pas à moi. Je ne sais pas à qui elle est. Quelqu'un
qui l'a acheté pour être tranquille je suppose, parce que depuis
que je suis sorti devant la porte pour m'asseoir, et ça fait quelque
temps, je n'ai jamais vu passer personne. Il n'y a tout autour de la
maison que du sable. Ou du sel, je ne sais pas très bien. Quelque
chose d'impitoyable pour quiconque chuterait à cause de la
déshydratation. Quoique ce soit, ça m'est un peu égal puisque je
suis juste sorti sur le porche pour attendre le retour de quelqu'un.
On a tous un fantôme qui
nous a un jour dit d'attendre. Attends moi, je reviendrais.
On en a tous un quelque part. Le tout est de savoir si on l'attend ou
si on laisse tomber pour continuer, avec à jamais cette petite
impression de ne pas avoir attendu.
À
tord ou à raison.
On
a tous un fantôme qu'on attends ou qu'on n'attend plus.
Ne pas
attendre ? Pour que ce fantôme ne me lâche plus ? Pour
qu'à jamais chaque pas que je ferais dans l'existence le soit grâce
à cette "non-attente" ? Je tiens trop à ma liberté
pour l'entériner dans une permission de ne pas attendre. Plutôt en
finir.
C'est
pour ça que j'attends. Pour rester libre.
Enfin,
je me comprends.
Je
regarde au loin parfois parce qu'il me semble avoir vu quelque chose,
mais c'est toujours un mirage. Toujours. Je me fais toujours des
idées dès que je crois qu'il approche quelque chose.
On a
tous en nous un fantôme qu'on attend. Les yeux plissés par le
soleil, sur le perron de notre baraque en bois mal foutue.
Il y a
des gens qui n'attendent pas encore quelqu'un. Ceux-là n'ont pas de
maison mal foutue. Ceux-là ne sont même pas là, dans ce désert.
Je ne sais pas si on fini par être locataire d'une baraque mal
foutue à force d'attendre..., ou bien si c'est parce qu'on habitait
ici qu'on a fini par attendre qui que ce soit qui est parti, en
espérant qu'il reviendra.
Je ne
me souviens pas.
Je me
souviens avoir toujours attendu. Et puis un jour, c'est un fantôme
qui m'a dit de l'attendre parce qu'il reviendrait. Alors je me suis
assis sur le perron, sur un vieux fauteuil en osier, les yeux plissés
par le soleil. Et j'ai attendu.
Parfois
je rencontre des voisines. À ma droite. Ou à ma gauche. À quelques
dizaines de mètre. Pas trop près, pour ne pas gêner nos baraques
mal foutue. On se parle. On échange un peu d'idées. Elle est assise
sur un perron aussi. Elle attends un fantôme aussi. On en parle pas
pour se laisser le loisir de nos conversations. Et puis à force
d'attendre sur sa chaise, on parle de plus en plus fort pour se faire
entendre. Au lieu de se rapprocher.
On
comprend souvent mal ce que l'autre dit à une telle distance. Alors
on fini par laisser la discussion s'étioler doucement et on détourne
les yeux vers l'horizon parce qu'on croit voir quelque chose.
Quelqu'un qui se rapproche. Un fantôme qui revient.
Mais
c'est toujours en imagination.
Je ne
sais même pas si j'ai bien entendu. Je ne sais même pas qui est
sensé revenir. Je ne sais pas ce que je fais là à attendre.
Mais
si je pars aujourd'hui, et que je rate l'occasion d'être heureux
lorsque mon fantôme reviendra...
Et si
je décide d'arrêter d'attendre, et que, à jamais tout ce que je
ferais c'est d'avoir arrêté d'attendre...
Il va
bien finir par passer quelqu'un sans baraque. À portée de voix.
Quelqu'un avec qui on pourra se comprendre parce qu'on est assez
proche.
Et là
je n'aurais même pas l'impression d'avoir cessé d'attendre. Je ne
penserais plus à ces fantômes qui n'existent pas.
Il
faut juste attendre que passe quelqu'un.
Ça
aussi.
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