samedi 4 avril 2020

Ce matin était un beau matin


Cette nuit, j'ai eu l'immense bonheur de te voir.
Tu as occupé toute ma nuit. Comme toujours. 


* * *


Dans le premier rêve, je suis en compagnie de ce collègue du conservatoire avec qui on travaillait le sax. Un alto, pour lui, et ténor pour moi ("le vrai" comme disent les ténors...). Dans un endroit un peu indéterminé. 
Je suis étonné de le voir, qu'on soit dans cette situation. Ça me fait plaisir. J'échange quelques mots avec mon collègue, je lui explique pourquoi j'ai quitté le conservatoire. 

Je sais que tu es là quand, alors qu'on doit tous partir vers un autre quelque part, on me demande si c'est moi qui veux à tout prix "en avoir un". Un autre précise que "non c'est elle, avec lui".
Les souvenirs de cette scène sont confus et il semble que je change instantannément de temps et de lieu.

Nous sommes sur le bord d'un lit un peu mal foutu. Tu es dans mes bras. Il me faut un instant pour réaliser. J'ai un mouvement de recule intérieur, comme celui guidé par une joie incrédule qui en fait donne envie d'avancer en courant vers l'autre.

Je comprends, il me semble, que je rêve. J'ai souvent été dans ce type de situation. Quand je rêve de toi, j'ai toujours ce sentiment d'en avoir conscience. Comme si mon corps réel me faisais ce cadeau de me le dire pour me permettre d'en profiter plainement. 

Immédiatement, sans trop avoir l'air pour que les choses se passent normalement et ne pas t'effrayer, je te sers contre moi raisonnablement. Raisonnablement, alors que sous ma peau, j'ai envie de te serrer comme pour t'écraser contre moi, comme si cette fois je pouvais te retenir. 
T'empêcher de repartir. 

Je me hais de faire ça maintenant que tout est trop tard, je goute encore une fois à l'absurdité de toute ces choses aujourd'hui, puisque je suis là dans un rêve à essayer désespérément de rattraper quelque chose que je n'ai pas fait quand je le pouvais.  
Je te sers contre moi, encore, mais raisonnablement, pour ne pas t'inquiéter. La joie que je ressens m'étouffe comme toujours de cette joie délicieuse d'avoir un moment, même minuscule, même dans un rêve, avec toi. une joie immense de toute ces choses qui n'ont pas de prix.

On échange quelques mots, d'une douceur qui ne dit pas son nom. 
Tu me souris et moi aussi je te souris. Alors même que je sais que tu ne comprendras peut-être pas la profondeur de ce sourire. Alors je me contiens pour ne pas te faire peur. 

D'un regard ou en pensée je te questionne sur le mal que je t'ai fait, ou celui qu'on s'est fait, je ne sais pas très bien.
Tu me montre ta vulve, elle est cousu. Tu souris. Comme si tu avais tiré un trait sur tout ça. Sur toute cette souffrance que tu as endurée à cause de moi. Sur toute cette partie désirante de toi. Et tu me réponds avec un sourire rassurant "non, c'est bon, ne t'inquiètes pas". Cette douceur dans la voix que tu as toujours... Je suis heureux de l'entendre elle aussi.
Je m'arrête un instant sur la douleur que je ressens quand tu me montre ta vulve cousue. Je te dis que… je suis très triste qu'il ait fallu en arriver là pour qu'il n'y ait "plus de problèmes". Cette formule nébuleuse et fuyante, je ne l'aime pas. Mais tu es dans un rêve, et je ne sais pas si tu sais à cet instant, tout ce qui s'est passé, et je cherche des mots qui ne te rappelleront pas comme je t'ai blessé.
J'ai à cet instant bien conscience de n'avoir rien eu à payer de mon corps pour tout ça… et ce n'est pas juste...
Comme j'ai conscience que le temps avec toi m'est compté, j'ajoute que je suis tout de même "très content de te voir…". Je te le dis parce que je ne perdrais plus un seul instant à ne pas te le dire. 

"... mais je suis content de te voir". 

Je t'étreins encore, comme si j'allais te faire mal. Comme une louve qui retrouverait un de ses enfants perdus. Et je ne dis rien.
Je compte chaque instant et celui qui suit, et celui d'après… je vais les compter, chacun d'eux, jusqu'à ce que le rêve s'arrête.
Et puis le rêve change.

* * *

Je me suis mis à pleurer.
Je suis devant la vitre où je regarde cet enfant qui n'est pas de moi et je commence à pleurer. 
Ce nourrisson derrière la vitre c'est un peu de toi et parce que un peu de toi, c'est tout le reste de toi qui n'est pas là, je pose ma main contre la vitre et je pleure.

Je vois ton compagnon arriver avec votre fille, pour venir voir l'enfant. Je m'efface rapidement, par égard pour lui, qui t'a perdu aussi, et a qui tu as un moment de ta vie tournée un peu le dos pour me donner à moi ce que je n'ai pas su prendre. 
Il me voit au loin avant que j'ai fui pour les laisser tranquille. Je crois même qu'il m'a souris, chaleureusement. Je les laisse seuls, je suis envieux, parce qu'ils vont avoir, eux, ce bout de toi, derrière la vitre. 

Je viens d'entrer rapidement dans ce qui semblait être une crèche, pour me cacher, je m'assois sur une de ces petites chaises, m'allonge sur une des tables, très basse, à la taille des enfants. Et je continue à pleurer.

Tu me manques, et je te demandes comme pour t'invectiver entre deux sanglots pourquoi tu es partie. Comme si je cherchais à te reprocher quelque chose. Alors que tu me manques et que je regrette.

Et puis, ce trou béant dans mon ventre. Celui que j'ai tous les jours. 
Je pleure sans m'arrêter. 


Et comme cela arrive à chaque fois que tu m'as fais le bonheur de venir me voir pendant mon sommeil, au réveil, après avoir passé un rêve dans le bonheur de ta présence, et un rêve à pleurer ton absence - mon cerveau psychorigide et sa façon très ordonnée de me rappeler ce que nous avons vécu - alors que le jour est levé et que je me répète les souvenirs de ces rêves, je pleure à nouveau, le matin.

En vrai cette fois.
Parce que le corps n'en a pas fini de dire tout mon chagrin d'après ton départ.


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