mercredi 24 octobre 2012

Quand j'étais petit je croisais mes mains devant mon sexe comme pour le protéger




I

Elle regarde les gens par à-coups. En levant la tête et en la rebaissant vite pour ne pas qu’ils la regardent dans les yeux.
Pour ne pas qu’ils voient ses yeux en fait.

Elle parle de façon énergique pour détourner notre attention de ses yeux qui ne nous regardent pas. Une voix claire et agréable. On penserait parler à une femme dont le métier est de restructurer poliment des grandes sociétés en foutant des centaines de personnes à la porte. Une voix travaillée pendant ses études à Polytechnique.
C’est juste une femme qui a un œil paralysé. Il regarde droit devant lui. Froid et intrigant.
Elle a du se regarder dans la glace un nombre incalculable de fois, sous toutes les coutures pour apprendre à faire diversion. Un jour elle est sortie de la salle de bain plus découragée que d’habitude. Elle a dit pour elle-même avec une sorte de mépris espèce d’œil de caméléon.
Elle n’a plus jamais essayé de s’accommoder de son œil mort. Alors elle ne regarde plus les gens dans les yeux. Elle préfère baisser la tête le plus souvent.
Si on la regarde dans les yeux, parce que ça ne nous dérange pas, on voit sur son visage une nervosité à peine dissimulée. Alors on baisse les yeux avec l’impression d’avoir été impoli. Et elle restera avec la désagréable impression que son œil mort de caméléon l’isole chaque jours un peu plus du reste du monde.


II


Il y a une espèce d’affront dans ses yeux quand elle regarde son interlocuteur.
Pas un affront aguicheur du genre t’as vu comment il y a un truc entre nous, mais plutôt un truc du genre je fais volte-face parce que je connais ton espèce. Sur le coup je ne comprends pas tout à fait et puis au bout de quelques mots échangés je baisse les yeux sur un décolleté assez beau, tout juste mis en forme par un joli débardeur.
En relevant les yeux je comprends à l’expression qu’elle arbore de quoi il était question depuis le début. Un nouveau regard qui veut dire vous autres, les hommes, vous ne pouvez pas vous empêcher de mater ces deux protubérances comme des macaques. Pauvres petits porcs…
Une pointe de condescendance à mon intention.
C’était donc ça. Je suis comme tous ces mecs obnubilé par quelques centimètres carré de peau dévoilée.

Elle trouve cela méprisant. Elle n’arrive d’ailleurs pas à dissimuler son ressentiment. Elle n’a jamais réussi. Elle n’a en fait jamais voulu. Pour que ça ne devienne jamais une habitude de notre part. De mater leurs seins en toute impunité.
A chaque fois qu’elle est en face d’un homme à qui elle doit adresser la parole, elle n’est jamais vraiment à l’aise. Elle attend toujours le moment fatidique où l’homme va mater ses seins, comme un enfant un peu bête qui ne sera jamais tout à fait civilisé.
Elle n’est jamais à l’aise avec les hommes parce que tous les hommes sont comme cela. Et dans le cas où elle n’a pas percé à jour un de ces hommes, c’est parce qu’il est moins franc que les autres.
Elle se méfie de ceux-là encore plus.
Ceux qui la respectent.

Du coup, il y a quelque chose de curieux qui se dégage d’elle. Elle est en permanence sous contrôle. Et se dégage d’elle une sorte de certitude définitive qui a fini par la rendre un brun antipathique au fil du temps. Sous contrôle d’elle-même, persuadée d’être dans le vrai. Attendant systématiquement l’incartade. Attendant une faute qu’elle imputera non plus à un individu, mais bien à un sexe. Parce que les hommes sont des porcs. Et elle, elle le sait. Et cette certitude plaie à certains hommes. Cet affront les attire comme des mouches, renforçant le peu d’estime qu’elle a peut-être eu autrefois pour les hommes.
 Des singes savants dit-elle parfois. D’adorables petits singes qui sont tout juste bons à baver quand tu acceptes qu’il te paient un verre.
Tout juste bons à rentrer chez eux après t’avoir donné leur petit coup de leur petite queue. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire