I
Elle regarde
les gens par à-coups. En levant la tête et en la rebaissant vite pour ne pas qu’ils
la regardent dans les yeux.
Pour ne pas
qu’ils voient ses yeux en fait.
Elle parle
de façon énergique pour détourner notre attention de ses yeux qui ne nous regardent pas. Une voix
claire et agréable. On penserait parler à une femme dont le métier est de
restructurer poliment des grandes sociétés en foutant des centaines de
personnes à la porte. Une voix travaillée pendant ses études à Polytechnique.
C’est juste
une femme qui a un œil paralysé. Il regarde droit devant lui. Froid et
intrigant.
Elle a du se
regarder dans la glace un nombre incalculable de fois, sous toutes les coutures
pour apprendre à faire diversion. Un jour elle est sortie de la salle de bain
plus découragée que d’habitude. Elle a dit pour elle-même avec une sorte de
mépris espèce d’œil de caméléon.
Elle n’a
plus jamais essayé de s’accommoder de son œil mort. Alors elle ne regarde plus
les gens dans les yeux. Elle préfère baisser la tête le plus souvent.
Si on la
regarde dans les yeux, parce que ça ne nous dérange pas, on voit sur son visage
une nervosité à peine dissimulée. Alors on baisse les yeux avec l’impression d’avoir
été impoli. Et elle restera avec la désagréable impression que son œil mort de
caméléon l’isole chaque jours un peu plus du reste du monde.
II
Il y a une
espèce d’affront dans ses yeux quand elle regarde son interlocuteur.
Pas un
affront aguicheur du genre t’as vu
comment il y a un truc entre nous, mais plutôt un truc du genre je fais volte-face parce que je connais ton
espèce. Sur le coup je ne comprends pas tout à fait et puis au bout de
quelques mots échangés je baisse les yeux sur un décolleté assez beau, tout
juste mis en forme par un joli débardeur.
En relevant
les yeux je comprends à l’expression qu’elle arbore de quoi il était question
depuis le début. Un nouveau regard qui veut dire vous autres, les hommes, vous ne pouvez pas vous empêcher de mater ces
deux protubérances comme des macaques.
Pauvres petits porcs…
Une pointe
de condescendance à mon intention.
C’était donc
ça. Je suis comme tous ces mecs obnubilé par quelques centimètres carré de peau
dévoilée.
Elle trouve
cela méprisant. Elle n’arrive d’ailleurs pas à dissimuler son ressentiment.
Elle n’a jamais réussi. Elle n’a en fait jamais voulu. Pour que ça ne devienne
jamais une habitude de notre part. De mater leurs seins en toute impunité.
A chaque
fois qu’elle est en face d’un homme à qui elle doit adresser la parole, elle n’est
jamais vraiment à l’aise. Elle attend toujours le moment fatidique où l’homme
va mater ses seins, comme un enfant un peu bête qui ne sera jamais tout à fait
civilisé.
Elle n’est
jamais à l’aise avec les hommes parce que tous les hommes sont comme cela. Et dans
le cas où elle n’a pas percé à jour un de ces hommes, c’est parce qu’il est moins
franc que les autres.
Elle se
méfie de ceux-là encore plus.
Ceux qui la
respectent.
Du coup, il
y a quelque chose de curieux qui se dégage d’elle. Elle est en permanence sous
contrôle. Et se dégage d’elle une sorte de certitude définitive qui a fini par
la rendre un brun antipathique au fil du temps. Sous contrôle d’elle-même,
persuadée d’être dans le vrai. Attendant systématiquement l’incartade.
Attendant une faute qu’elle imputera non plus à un individu, mais bien à un
sexe. Parce que les hommes sont des porcs. Et elle, elle le sait. Et cette
certitude plaie à certains hommes. Cet affront les attire comme des mouches,
renforçant le peu d’estime qu’elle a peut-être eu autrefois pour les hommes.
Des singes savants dit-elle parfois. D’adorables
petits singes qui sont tout juste bons à baver quand tu acceptes qu’il te
paient un verre.
Tout juste
bons à rentrer chez eux après t’avoir donné leur petit coup de leur petite
queue.
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